Hommage à Paul VIEILLE au Liban : novembre 2017.

Journée Paul Vieille- ULF Tripoli Samedi 04 novembre 2017.

Hommage à Paul VIEILLE au Liban :

La Méditerranée de Paul Vieille en débats : identités, chaos, globalisation.

1- Allocution d’ouverture : Norma El Arab

La Méditerranée est-elle symboliquement un espace de nécessaire séparation, une ligne de démarcation qui protègerait les particularités de groupes sociaux par définition-disons plutôt par différence- portés sur les antagonismes, ou plutôt un lieu de rencontre, un lieu d’échange, de foisonnement interculturel et d’enrichissement de l’humain, capable de générer une identité commune forte de ses visages multiples?

« Elle porte en elle la crise du monde tout en vivant sa crise singulière » observe (Edgar Morin), en postface du livre d’hommage à Paul Vieille (Méditerranée, Mondialisation, Démocratisation).

L’Histoire méditerranéenne est une histoire à reconquérir, parce que trop longtemps faite de vérités déformées, et que ces vérités sont désormais à redresser dans ce climat demontée des clivages racistes et des mouvements de non-tolérance. Un article récent de l’Express titrait : » « La Méditerranée cimetière des migrants » ;  mais pourquoi pas la Méditerranée ultime espoir des migrants ? Puisque finalement, tout dépend de l’angle sous lequel le chercheur observe toutes choses ; et c’est justement cette unicité de la recherche que Paul Vieille a voulu sacrifier, au profit d’un regard multiple sur un espace à la multiplicité identitaire complexe et unique.

Unique elle l’est, parce que provenant d’un merveilleux amalgame humain, elle est et restera le produit authentique d’une identité méditerranéenne naturelle, ni importée, ni imposée, au-delà des volontés d’effritement et de démantèlement dans le but d’une planification- encore une fois neuve-, auxquelles Paul Vieille oppose la notion de quête-attente d’un ordre social plus juste.

Mais la reconfiguration d’un espace donné peut-elle ne pas être politique? l’observation et l’extraction d’une pensée méditerranéenne arabe longtemps ensevelie et non-reconnue mettent en lumière la force extraordinaire et le caractère unique de cette pensée, trempée dans l’acier des dominations et conquêtes successives et brûlée au feu des confessionnalismes régionaux ; une pensée potentiellement génératrice de rigueur scientifique dont elle a été pionnière, qu’elle a su manier avant de l’être elle-même ; et que cette pensée soit, et qu’elle puisse reprendre un essor dont le mouvement d’élan n’a jamais cessé d’être, cela s’inscrit dans une quasi-fatalité inexorable pour les uns et assez logique finalement pour les autres, puisque pour que la dynamique d’échange se fasse les deux parties doivent s’attendre à perdre avant de s’enrichir. Avant d’aller vers l’Autre, avant d’accepter ce que l’Autre pourrait offrir, il faut exorciser ses propres démons : la peur du Différent, la crainte de se laisser aspirer, le souci de ne pas se laisser dépasser et surtout l’obsession du disparaître.

 D’où la nécessité d’asseoir un climat d’acceptation de l’autre et d’assimilation des différences en entamant un dialogue interculturel. Cette nécessité n’est plus uniquement liée à la survie des minorités méditerranéennes en tant que telles, mais bel et bien à la continuité d’un modèle européen conscient de questionnements contemporains hasardeux, et forcément à celle d’un monde géopolitique assez ébranlé et qui glisse sur une pente fallacieuse de faux changements. Souligner le caractère particulièrement important d’un héritage tel que celui de Paul Vieille, c’est surtout accepter de ne plus étouffer l’existence historique d’une pensée arabe en dehors de la religion, une penséeauthentique en ce sens qu’elle a été créatrice (du social/ du politique/ du culturel/ du poétique) par elle-même ; une pensée, enfin, pluridisciplinaire , et qui s’appuie sur l’historique de l’improbable (selon Edgar Morin) pour s’affirmer dans la réconciliation du supérieur avec l’inférieur.

Sociologue anthropologue universaliste et pluridisciplinaire, Paul Vieille, sa méditerranéité d’amour pétrie, appelle à repenser la Méditerranée en mélangeant les genres : dès lors, elle n’est plus un espace de séparation, de tiraillements et d’effritements, mais plutôt un espace qui par sa multiplicité même appelle à l’union et à la rencontre.

Authenticité, simplicité, humilité: 3 mots caractéristiques de la pensée de Vieille.

Je vous remercie et je laisse la parole au Professeur Salhab, Président de l’ULF.

2-Allocution du Président de l’ ULF, Dr Mohamad Salhab

Mesdames et Messieurs les intervenants (je cite: Prof. Évelyne Accad, Prof. Boutros Labaki, Prof. Christiane Veauvy, Prof. Roula Zoubiane, Prof. Ezza Agha Malak, Me. Jean-christophe Bonté-Cazals, Dr. Nicolas Dot-Pouillard, Mme Françoise Lausanne, chers partenaires de cette Journée d’exception, M. Marc Fenoli Directeur de l’Institut françis de Tripoli, Mme Buchra Baghdadi Adra Secrétaire générale de la Commission du Monde arabe de la FIPF , Messieurs les représentants d’établissements académiques et d’associations civiles, chers amis membres du Conseil Stratégique de l’ULF, chers professeurs et étudiants:

Nous sommes réunis aujourd’hui pour saluer la mémoire d’un penseur dont le mérite aura surtout été de nous avoir légué une pensée au caractère pionnier, innovateur, osé. Paul Vieille n’a pas eu peur de sortir des sentiers battus, de faire des brèches dans la barrière protectrice du cadre mainstream des sciences sociales au profit d’une pluridisciplinarité de la recherche, et ce dans le cadre d’une “subjectivation” toute foucauldienne, pour reprendre les termes d’Alain Touraine dans sa Préface du livre-hommage à Paul vieille. Oser penser l’autre en dehors de la perspective unique des sciences exactes, penser à l’autre en le repensant à travers sa subjectivité pour mieux en dévoiler une grandeur forcemént présente (puisqu’omniprésente à toute communauté humaine)- et par là même en se repensant-, oser admettre que c’est en pansant cet autre dans les aléas de ses différences que l’on peut mieux se reconstruire, voilà ce qui fait l’actualité de Paul Vieille, voilà aussi le défi ultime que nous lance Paul Vieille, ce remueur tranquille de la conscience individuelle, dont les cailloux auront finalement eu le dernier mot dans le tourbillon inévitable des flux de la pensée moderne, et je dis inévitable parce qu’accompagnateur des troubles de l’époque et du malaise intellectuel qui découle de la rapidité de ses mutations, de l’instantanéité de ses communications, et de l’immédiateté de leurs effets.

Le penseur aura été l’innovateur, l’homme aura surtout été « l’accueillant » pour reprendre les termes de René Naba’a, l’un de ses nombreux compagnons de route sur une voie nouvelle, celui qui toujours saura écouter et, par l’écoute, mieux analyser et mieux comprendre.

En lui je salue l’éternel chercheur- tout chercheur ne l’est-il pas ?- enfin et surtout, en lui et par lui je salue une méditerranéité dont je me réclame, en laquelle je me reconnais le mieux, et, je le dis sans ambages, que j’assume avec une fierté sans détour. Une méditerranéité exceptionnelle qui, toute recomposée qu’elle soit à partir d’identités fracassées et recousues, ne s’en montre pas moins capable de produire-ou de reproduire- une pensée neuve, non pas nouvelle, mais plutôt héritière d’une autre pensée lourde de siècles d’exercices, et qui ne s’endort que pour mieux se réveiller, pour mieux se révéler, et surtout pour mieux se relever.

Mesdames et Messieurs, bienvenue à l’ULF qui se fait un honneur d’accueillir sur sa tribune ce bouquet de choix d’intervenants, les échanges qui suivent ne sont pour nous que les prémices d’un positionnement culturel qui se veut avant tout, comme l’aurait si bien apprécié Paul Vieille, une dynamique de partenariat et d’échanges.

3-Conférence sur Paul Vieille- Intervention de Mme Ezza Agha Malak

Le voile et la guerre- ULF, le 4 novembre 2017.

C’est avec grand plaisir que je m’associe à cette journée d’études consacrée aux travaux du penseur Paul Vieille pour partager avec vous des moments culturels de grand intérêt.

Je suis particulièrement heureuse de vous retrouver dans ma ville Tripoli, terre de diversité et modèle de tolérance, quoiqu’il y ait des gens et des profiteurs de situations, qui veulent prouver le contraire  et défigurer son visage fait d’amour et d’ouverture.

Tripoli, la première ville francophone au Liban, fut à un moment de son histoire, le lieu de rencontre des trois cités, d’où partaient les commerçants et les négociateurs : Saïda, Sour et Arwad, ce qui lui a valu le nom de Tripoli.

Lorsqu’on m’a demandé de participer à cette journée sur Paul Vieille, j’ai été contrariée par la date, celle de ma table ronde de Beyrouth, déjà fixée ce même jour : le 4 novembre. Mais comme la chance vient avec la bonne volonté, j’ai réussi à basculer cette table du 4, au dimanche 5 novembre. Ceci dit, j’aimerais bien profiter de cette petite précision et la considérer comme une invitation ouverte. Je vous invite alors, demain, le 5 novembre à 4 :30 à BIEL-Beyrouth, pour ceux qui aimeraient assister. Mais une autre table ronde avec d’autres intervenants, aura lieu à Tripoli, le 10 novembre à la Chambre de Commerce.

Revenons à nos moutons d’aujourd’hui et soulignons que les travaux de Paul Vieille montrent l’effort en faveur d’une pensée de démocratie (au sens le plus noble du terme) avec tous les enjeux politiques et confessionnels que dégage la Revue qu’il dirigeait dans une conjecture mondiale difficile où le dialogue, l’échange et l’ouverture ne sont pas chose aisée.

En consultant le site de la revue pour mon intervention, deux articles qui jettent la lumière sur la pensée de Paul Vieille, m’ont intéressée : un article sur la guerre de l’Iraq sous forme d’une représentation scénique, et un autre sur le voile, avec comme coauteur, Evelyne, sa chère mascotte.

Le voile et la guerre : j’étais tentée par ce rapport connotatif qui les rapproche. Ne dit-on pas « sous le voile de la guerre » ? Puis, on ne sait trop ce qu’il restera des terres et des hommes quand la guerre relèvera son voile.

Je dois dire que ces deux articles ont suscité mon intérêt pour d’autres raisons : D’abord, le voile, le dévoilement il y a un siècle, et le revoilement (actuel) de la femme, furent le sujet de ma conférence au Maroc, qui a été très bien accueillie.

La deuxième raison est liée à la guerre de l’Iraq, du fait d’un certain croisement avec mes idées, révélées dans mon roman « Bagdad, des morts qui sonnent plus fort que d’autres (2006) ». Bagdad qu’on ne voit plus qu’à travers le regard du désespoir comme bien d’autres pays ravagés par la guerre, pour un délit qu’ils n’ont pas commis.

Evelyne elle-même en connaît quelque chose, beaucoup même, car elle a participé à un colloque sur mon œuvre, organisé par la Sorbonne Paris II. Sa belle intervention figure dans les actes du colloque intitulé Le pays et l’ailleurs. Evelyne avait décrit le roman comme « un long et perpétuel voyage, commençant en Palestine, et finissant dans Bagdad, en passant par Beyrouth puis Tripoli ». On se rappellera toujours la fameuse bataille engagée (en 1982) entre les Syriens juchés sur le mont Balamand et les Palestiniens embarqués avec leur leader Arafat, sur la route de l’exil, dans la mer d’El-Mina, avant de lancer leur dernier baroud d’honneur.

Je dois dire que l’article de Paul Vieille sur la guerre de l’Iraq, expose un idéal de tolérance particulier envers les agissements américains. Il a écrit : « Mais la guerre ! Il fallait du cran pour s’y attaquer ! J’ai depuis entendu dire que l’Etat recrutait en sous-main des intellectuels, des universitaires pour convaincre de la justesse de la guerre que le Président avait décidé de mener contre l’Iraq ».

« Convaincre de la justesse de la guerre » : Mais, est-ce qu’il y a des guerres « justes » ? C’est là le problème.

Suit une parenthèse. Je cite : « on disait au début que c’était par fidélité à l’œuvre inachevée du père, mais depuis, le fils a montré qu’il savait mieux faire qu’imiter le père, qu’une solide équipe l’entourait, bien décidée à tirer tout le profit possible d’une élection durement gagnée ».

Au nom du père et du fils, dirais-je, la guerre de l’Iraq eut lieu.

Or, si dans mon roman je suis peu tolérante, c’est parce que l’histoire racontée est presque authentique, du vécu, se rapportant à un parent de la famille. Mon credo était alors que Bush a fait la guerre en Iraq non pour « démocratiser » le pays, comme il le prétendait pour justifier sa guerre, mais pour faire mainmise sur les gisements de pétrole avant tout, et éradiquer le patrimoine culturel du pays. Comme il l’avait fait au Salvador et au Vietnam. Au nom de la démocratie, il engageait les plus viles des guerres.

Je reprends donc l’hypothèse de Paul Vieille pour dire que non, il n’y a pas de « guerres justes », il y a des guerres hypocritement justifiées.

Et j’en reviens à mon roman.

Dans l’avant-dernier chapitre de ce roman le monde rebushé,  je raconte comment dans les élections américaines, Bush, qui est à l’origine de la guerre sanglante en Iraq, eut la majorité des voix en battant son rival John Kerry. Dans ce chapitre, Sarah se pose la question : « Comment finira la tragédie ? Comment cette guerre se terminera et au nom de quoi le retrait des troupes américaines s’effectuera, sans trop salir le visage américain ? ».

Mais qui d’autre qu’un Libanais averti (tombé dans le même pétrin et connaissant un peu trop les stratagèmes et les ruses américaines) pourrait conjecturer et imaginer une issue, pour le retrait des troupes américaines ?

C’est Sarah, l’héroïne, la Libano-américaine, qui donne la réponse : « C’est en dressant les communautés, les unes contre les autres, Chiites contre Sunnites et vice versa ; puis sunnites divisés et chiites galvanisés ».

Voici une hypothèse possible. Diviser pour régner, dresser les uns contre les autres et se retirer en catimini. Que serait-ce si ces uns et ces autres sont des confessions, des religions et des communautés ?

Les Américains avaient joué gagnant.

Et je n’ai fait que raconter des vérités. Mais ceci a imposé à la traductrice américaine du roman, une certaine prudence :

Cynthia Hahn a tenu à préciser dans la présentation du roman traduit que « As an American citizen and translator, I am actually aware of the harsh criticism of the Bush administration, etc., I wish to note that the political viewpoints expressed in this novel are that of the author, etc.”

En tant que citoyenne et traductrice américaine, je suis réellement consciente des critiques sévères de l’administration Bush, etc. Je tiens à noter que les points de vue politiques exprimés dans ce roman, sont ceux de l’auteur, etc.  »

A ce sujet, je voudrais rappeler à ma chère traductrice Cynthia que le sang de l’Iraq éclabousse toujours les instigateurs de cette guerre, mais on ne lui prête aucune attention, car d’autres guerres furent inventées depuis… 

***

Je passe ensuite au voile ou le foulard islamique qui fut, il y a quelques années, mon sujet de conférence lors d’un congrès au Maroc.

J’en conviens parfaitement avec Paul Vieille et Evelyne Accad, que le port du voile est antérieur à l’Islam, car, écrivent-ils, « avant le XXe siècle, le voile y est habituellement porté par les femmes, surtout dans les villes, moins dans les campagnes », etc. Les deux auteurs ajoutent que « chaque culture, voire chaque tribu a son genre de voile ». Ils concluent que c’est un « signe d’appartenance qui n’est pas lié à l’Islam ». Puis ils abordent cette question du côté historique en affirmant que « dans les sociétés arabo-musulmanes, le voile a parfois pris une signification politique ».

Les auteurs fournissent ensuite deux expériences de dévoilement des femmes : celle de l’Iran d’abord : dans les années trente, Réza Chah interdit le port du voile mais il se heurte à un refus collectif radical dans les milieux populaires ; sitôt la chute de Réza Chah, le voile réapparaît ».

L’article cite ensuite la Tunisie des années cinquante.

Bourguiba, arguant du fait que le voile n’a rien d’islamique, prône l’abandon du voile.Les auteurs de l’article font une troisième observation. Je cite : « Il est de coutume de rapporter le port du voile à un hadith qui recommande aux femmes de la famille du prophète de porter le voile. On comprend que l’usage s’en soit répandu, par imitation, par souci de se rapprocher du prophète, etc.  Le voile serait donc, tout au plus, un signe d’honorabilité, non un signe d’islam essentiel mais un signe secondaire, indiquant le statut de celle qui le porte ». (fin de citation et c’est le point de vue même de ceux qui ont approfondi les concepts de l’Islam).

Ce qui m’a vraiment interpellée dans l’article, c’est la déduction suivante : « Dans les villes, l’absence de voile est souvent considérée comme signe de déchéance ; a contrario, le voile signifie la bienséance ; par suite, il protège la femme des conduites impudentes des hommes (…) ».

Cette déduction « conduites impudentes des hommes » m’a rappelé la réponse d’une de mes étudiantes voilée à laquelle j’ai demandé : « Pourquoi te caches-tu les cheveux ? ».

Elle m’a assigné une réponse brève, simple et choquante : « Pour ne pas exciter les hommes », en ajoutant : « Pour me protéger contre leurs regards insolents qui me dévorent ».

Bon sang ! Mais l’homme n’est pas aussi vulnérable et fragile comme on le représente à travers le voile féminin. Il n’est pas ce taureau qui s’excite et trépigne à la vue de la « muleta », le chiffon rouge du torero ; on n’est pas dans une corrida devant un matador !

C’est un mauvais point pour ce mâle qu’on appelle l’homme et qui paraît vulnérable et fragile, face aux cheveux d’une femme, fussent-ils affreux (les cheveux d’une vieille par exemple, décolorés et desséchés).

Cependant si, dans cet article, les auteurs ont mis l’accent sur la révolution iranienne et tunisienne, moi j’aimerais mettre le même accent sur la révolution islamique en général, née particulièrement en Egypte.

Il y a un siècle et des poussières, des réformateurs et des dignitaires musulmans ont cherché à renouveler la pensée théologique islamique.

On se rappelle tous de l’époque de la Nahda, la Renaissance, dans les pays arabes. Il s’agit d’un fait historique qui a marqué la fin du XIXe siècle et a gagné du terrain au début du XXe : le dévoilement de la femme et sa libération.

Ce mouvement avait commencé en Egypte avec le réformateur Cheikh Mohammed Abdo, mufti d’Egypte à l’époque, avec d’autres réformateurs, comme Jamal-eddine-El-Afagani, Taha Hussein, Rachid Réda, Kacem Amin ou encore le père spirituel du Pakistan, Mohammad Iqbal, etbien d’autres.

La liberté, le nationalisme, la démocratie étaient l’objet de leur lutte. Ce qu’on peut retenir d’eux, c’est leur action soutenue pour le rejet du voile et de la discrimination à l’égard des femmes…

Libérer la femme des préjugés et des contraintes, lui « lever le voile » dans son sens double, abstrait et concret, étaient leurs premiers objectifs. Ils considéraient que la renaissance sociale ne se fait que par l’éducation de la femme, parce qu’elle constitue la moitié de la société. Leurs fatwas tendaient à concilier les règles fondamentales de l’Islam aux exigences de la vie moderne. Cheikh Mohammad Abdo expliquait le Coran à la lumière de la raison. C’était lui qui avait obligé sa femme à ôter son voile et se découvrir la tête.

Alors qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ?

Ce long chemin parcouru, ce long processus de lutte et d’histoire afin de sortir la femme de l’obscurantisme où elle était enfermée, est aujourd’hui bafoué, en la re-voilant, comme par un retour voulu à l’obscurantisme. C’est une destruction concrète des acquisitions des temps révolus ; un mouvement de régression et de recul qui pose un grand problème socioculturel.

Ainsi, une sorte de paradoxe utopique remet-il en cause l’identité de la femme, sa voix (au chapitre) et sa voie à frayer, à tracer ? La voix et la voie : deux moyens libérateurs que certains tendent à gommer.

Un phénomène étrange se produit de nos jours, aussi bien dans la société occidentale qu’orientale. La femme arabe se re-voile ! Elle détruit ainsi des décennies de militantisme et de lutte qu’avaient entrepris nos consœurs et confrères, il y a plus d’un siècle, afin de libérer la femme arabe, respecter ses droits et la soustraire à la domination de l’homme.

Foulard, Hijab, Niqab, Burqa, et quoi encore ? La femme est, de nouveau, ensevelie (ou s’ensevelit d’elle-même) dans une tenue vestimentaire particulière, son linceul, je dirai, propre à entraver sa vie sociale. Elle bafoue pour ainsi dire un siècle de militantisme et de lutte féminine.

Provocation ? Subversion ? Commercialisation ? Ignorance ? Soumission ? Ou fait politique tout simplement ? N’importe. Dans tous les cas, ce phénomène absurde qui s’impose aujourd’hui, nuit à l’homme bien plus qu’à la femme : chose qu’on oublie souvent d’évoquer et qui stigmatise l’homme en premier.

Dissimuler la femme aux regards de l’homme, ou cacher ses cheveux, c’est comme pour dire à la femme : méfiez-vous, cachez-vous, il y a en face quelqu’un de dangereux, qui a des arrière-pensées, de mauvaises intentions, et un instinct indomptable.

Or, le fait qu’une femme se couvre dans le seul but de ne pas réveiller l’instinct masculin, a une mauvaise connotation, dévalorisante, pas pour elle, mais pour l’homme.

Autrement dit, la camoufler afin de la « soustraire aux regards de l’homme », à ses désirs, à ses concupiscences, revient à considérer cet homme comme un être vulnérable, irréfléchi et inconscient, mais aussi irresponsable de ses actes. Nous admettons que les hommes soient attirés par les femmes, mais la transcendance la sublimation des sens et le respect de soi, sont là, pour sauver la face. Et puis il est quoi cet homme qu’une mèche de cheveux peut exciter et dont elle peut éveiller les sens ? Qui se trouve incapable de mater ses instincts et maîtriser sa libido?

Non, homme ! On te persécute.

Car il y en a qui sont contre ce recul et cette perte des fruits déjà récoltés. Et de hautes autorités musulmanes allèguent que le port du voile (ou de la Burqa) ne relève pas des commandements religieux mais d’une tradition sociale (wahhabite). L’homme est finalement cet être humain plein d’humanité !

En somme, c’est une attitude humiliante et dévalorisante pour l’homme d’abord, lui qui prétend être le plus fort et le plus sage, qui se dit le bastion de la famille et de la société ; ensuite pour la femme, qui accepte de régresser après avoir progressé, en se moquant de ses propres conquêtes et de sa belle entrée dans l’histoire.

C’est à l’homme aujourd’hui de sortir la femme de cette vague d’obscurantisme envahissante, pour qu’il récupère sa bonne réputation.

Rappelons que c’étaient des hommes (des cheikhs en général) qui ont libéré la femme, leur moitié, la moitié de la société, pour qu’elle soit leur égale.

Devrions-nous engager de nouveau la lutte ?

Ce serait bien dommage de reprendre des débats séculaires.

Je sais qu’il y aura des contestataires, que mes propos déplairont à certains… à beaucoup… Mais mes points de vue sont propres et fondés. Au Maroc, lors de ma conférence sur le voile, mes points de vue ont été accueillis avec beaucoup de respect et d’admiration. Je ne suis en fin de compte qu’une femme écrivain qui se donne le temps de la réflexion et de la revendication.

Pour finir, je dirai ceci :

Si l’écriture ne nous engage pas, nous les femmes écrivains, à élever la voix pour revendiquer nos droits spoliés de femmes, si elle ne nous aide pas à montrer du doigt le préjudice et à trouver notre voie, qu’on aille alors faire autre chose qu’écrire.  

Enfin, qu’il me soit permis d’ajouter un bravo de félicitation en faveur de notre amie Evelyne qui tient à propager les idées et les idéaux de son cher Paul. Et je dis que ses réflexions de penseur, semées comme des graines au bon vent, ne manqueront pas de germer et de fleurir.