- YAZHOU ZHOUKAN | JIANG XUN
En un quart de siècle, la région Asie-Pacifique a connu des bouleversements majeurs : l’essor économique de la Chine, l’intensification de l’action des Etats-Unis, la stagnation du Japon, la montée en puissance de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) et le basculement de la Russie vers l’Asie. C’est incontestablement la Chine qui a enregistré les changements les plus importants, avec la multiplication de son produit intérieur brut (PIB) par trente en vingt-cinq ans.
La vitesse et la ténacité avec laquelle l’économie chinoise s’est affirmée, au cours des treize années séparant la réunion du forum de l’Apec (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) à Shanghai [2001] de celle ayant eu lieu à Pékin [les 10 et 11 novembre dernier], ont cependant mis en lumière le caractère extensif – et par conséquent non durable – de son modèle de croissance. Les réformes, la diplomatie et la lutte contre la corruption sont aujourd’hui les trois éléments fondamentaux du pouvoir chinois. “La bienveillance supérieure est comme l’eau” (Le Livre de la voie et de la vertu, chapitre 8, Laozi). C’est en ces termes que le président chinois, Xi Jinping, a justifié le 10 novembre le choix du site du Cube d’eau [le Centre national de natation de Pékin] pour la soirée réunissant les dirigeants des [21] pays de l’Apec.
L’eau a une importance symbolique très forte dans la culture chinoise, et c’est aussi elle qui sert de trait d’union, à travers l’océan Pacifique, entre les membres de l’Apec. Lors du forum, Pékin a su se montrer aussi fluide que l’eau en tirant parti avec brio, sur le plan diplomatique, du fait de “jouer à domicile” et en affichant sa force grâce à une confiance en soi aussi puissante que des vagues. A cette occasion, Xi Jinping a rencontré pour la cinquième fois de l’année son homologue russe, Vladimir Poutine, et cette nouvelle poignée de mains entre les deux hauts dirigeants a été considérée par certains comme un nouvel épisode de la série Friends.
Quant au président américain, il est resté sur place un jour de plus pour des entretiens privés : Barack Obama avait déjà été reçu la veille dans l’enceinte de Zhongnanhai [le siège du gouvernement chinois], dont il avait pu découvrir de nuit les lacs au doux clapot, tout en discutant avec Xi Jinping lors d’une promenade dans le parc. Le sommet de l’Apec de Pékin a fait de cette “diplomatie à domicile” une “grande diplomatie”. La Chine a en fait joué les deux cartes maîtresses d’une stratégie double, l’une en direction de l’Occident et l’autre vers l’Orient. En tant que pays hôte, la Chine a marqué un point en affirmant sa volonté de réaliser un“rêve pour la zone Asie-Pacifique”.
Par sa proposition [adoptée] d’une feuille de route afin de créer une Zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique (FTAAP) comme par la promotion de ce “rêve”, la Chine a pris en compte le rapprochement chaque jour plus marqué des économies de la zone. Vers l’ouest [en Asie et vers l’Europe], la Chine a lancé le double projet de réalisation d’une “ceinture économique de la route de la soie” et de la “route de la soie maritime du XXIe siècle” ; elle explore activement les marchés d’Asie centrale et occidentale, ainsi que d’Asie du Sud-Est, et débourse 40 milliards de dollars (32 milliards d’euros) pour établir un fonds de la route de la soie. Vers l’est [les alliés des Etats-Unis en Asie et le continent américain], la tâche s’annonce beaucoup plus ardue car un nombre important de pays de cette zone négocient déjà le Partenariat transpacifique [PTP, lire page 38] orchestré par les Etats-Unis.
Cependant, si jamais la FTAAP voit le jour, ce sera la première concrétisation d’un accord de libre-échange transcontinental ardemment promu par la Chine – un événement ! Ces derniers jours, Xi Jinping a émaillé son discours de citations tirées de poèmes de l’Antiquité, s’exprimant tantôt dans un langage très courant, tantôt sur un ton docte.“Il faut une route pour qu’êtres et choses circulent”, “A grande époque, grands desseins, à grands desseins, grande sagesse”… Sur cette arène diplomatique à domicile, Xi Jinping a fait montre d’une grande assurance et d’un vrai élan.