Compte rendu

Le Cameroun vu par la Presse 1955-1957.

Hermenegildo Adala

Des premières grèves et manifestations sanglantes de 1945 à Douala, de la création du parti indépendantiste de l’Union des populations camerounaises en 1948, aux dizaines de milliers de victimes jusqu’à l’exécution du dernier maquisard upéciste en 1971, après plus de 60 ans, la guerre d’indépendance du Cameroun reste toujours ignorée du public et des manuels scolaires.

Au moment où une commission composée d’historiens français et camerounais fait œuvre mémorielle sur les événements “, l’étude de Hermenegildo Adala portant sur trois années de crise majeure nous rappelle combien une partie de la presse française contribua à sous-qualifier une guerre qui ne devait pas dire son nom.

En visite au Cameroun, le 26 juillet 2022, le Président Macron annonçait, lors de la conférence de presse donnée avec le président Biya, la création d’une commission en charge de ” faire la lumière ” sur les responsabilités des français et le rôle des autorités camerounaises engagés dans la guerre que la France a mené dans ce Pays dans les années 50 et après les indépendances de 1960.

L’engagement était pris par le président français d’ouvrir les archives à cette commission – officiellement lancée en mars 2023 – composée d’historiens français et camerounais, afin de ” qualifier les choses ” sur des ” événements ” extrêmement violents qui, pendant plus de cinquante ans, ont difficilement été connus puis reconnus comme constituant les faits d’une véritable guerre.

En juillet 2022, à Yaoundé, le mot était prononcé par le président français : « C’est clair qu’il y a eu des exactions, une guerre et des martyrs ».

À la fin des années 50, alors que les ” événements ” d’Algérie avaient pris la tournure d’une guerre qui ne disait pas son nom, où en était l’opinion en France quant à ce qui se déroulait au Cameroun ? Menés sur fond de guerre froide, les ” troubles ” du Cameroun, leurs rouages géopolitiques, les engagements des militaires et des maquis, ainsi que leurs protagonistes étaient largement ignorés en France, et ils le restèrent pendant des décennies.

Pourtant, les acteurs de la mouvance indépendantiste et militants pour l’unification du Cameroun, membres et leaders de l’Union des populations du Cameroun (UPC), qui menèrent la mobilisation populaire, puis prirent les armes dans la clandestinité après l’interdiction de l’UPC, disposaient de relais politiques en France, entre autres, et furent reçus à l’ONU. Ruben Um Nyobe, le secrétaire général de l’UPC fut entendu à trois reprises à New York entre 1952 et 1954. Célébré à chacun de ses retours, devenu l’une des icônes du tiers-mondisme naissant, entré dans le maquis en 1955, il fut lui-même assassiné en 1958.

Entre l’insurrection ” inaugurale ” de mai 1955 qui éclata à Douala, alors que le feu couvait dans l’ensemble du Pays depuis de nombreux mois, et l’exécution en janvier 1971 par l’armée camerounaise de l’un des derniers chefs indépendantistes de l’UPC, les victimes se comptent par dizaines de milliers.

Le bilan humain est encore à faire. Selon certaines sources, le chiffre pourrait dépasser 120 000 morts pour le seul pays Bamiléké où se concentra le conflit en ses dernières années jusqu’à son extinction. Des archives britanniques avancent 61 300 à 76 300 civils tués de 1956 à 1964 (repris par le journal La Croix, 28/12/2022).

L’ouvrage de M. Adala apporte un élément précieux à la reconstitution de la mémoire des peuples et à l’historiographie coloniale. Son analyse de la couverture journalistique porte, en effet, sur les trois années de crise majeure, les plus virulentes de la période au cours de laquelle la France tenta de reprendre le contrôle de la situation politique face à l’UPC, avec pour conséquence l’installation du conflit.

Un corpus de 313 articles de presse couvrant la période de mai 1955 à mai 1957 y est traité de façon méthodique. La presse française est très largement représentée au côté de titres de la presse camerounaise. Les articles font l’objet d’un dépouillement ordonné selon l’analyse lexicale, les expressions et mots-clés, les thèmes et sous-thèmes, la présentation et l’analyse des contenus, etc. L’auteur distinguera deux catégories de journaux selon qu’ils correspondent « à l’évaluatif                ” favorable ” ou ” défavorable ” à l’UPC et aux nationalistes radicaux » ; entendre : soit qu’ils s’opposent au pouvoir colonial et donc au gouvernement français ou qu’ils ne contestent guère « le fondement et la validité juridique du régime colonial ».

L’intérêt de l’étude Le Cameroun vu par la presse est –  au moins  –  double :

–  Du point de vue de l’histoire et de son écriture, alors que des décennies de censure ont pesé sur les faits et leur restitution, au Cameroun et en France.

–  Du point de vue de la critique de la désinformation (ou des biais cognitifs autant que de la limite des moyens de connaissance, basée p.e. sur des dépêches d’agence, qui y contribuent), faisant de ces « trois années » un véritable cas d’école. Ainsi, sont mises en évidence, au titre de la distorsion des informations soumises à l’opinion, la répercussion dans la presse des efforts de ” minimisation ” des faits, les tentatives de division du parti indépendantiste, d’activation de la haine tribale et idéologique, ou de justification a priori de la répression… Et bien sûr du soupçon d’exagération porté sur des témoignages d’exactions.

La bibliographie relativement copieuse proposée par l’auteur témoigne donc du double intérêt, chez lui, pour le travail d’historien et la restitution de la mémoire et pour l‘approche critique des textes et, en particulier, l’analyse du ” discours de presse “. Approches complémentaires, et tout particulièrement dynamiques, on le comprend, lorsqu’il s’agit de les croiser pour traiter et interpréter en sémiologue des documents amenés à accompagner la formation de l’opinion dans le contexte des périodes de conflit. Sachant que, quelle que soit la situation, comme le soulignait Umberto Eco, « les médias participent à la falsification permanente de l’information ». Une leçon retenue et pratiquée par la présidente de France Télévision qui, devant la commission des Finances à l’Assemblée, déclarait, le 23 juillet 2023 : « On ne représente pas la France telle qu’elle est […], mais on représente la France telle qu’on voudrait qu’elle soit ». La recherche de la vérité a encore de belles heures devant elle. M.F.

Hermenegildo Adala, Le Cameroun vu par la presse, 1955-1957. L’injustice et la faute politique de la France coloniale, Paris, Editions L’Harmattan, 2023.

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