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L’Héritage de Paul Vieille
Par Evelyne ACCAD
Nous relançons la revue Peuples Méditerranéens créée par Paul Vieille en 1977. Les éléments formateurs et questionnant le monde, en particulier le pourtour méditerranéen, ont bien changé depuis presque cinquante ans. Le monde n’est plus ce qu’il était ou ce que Paul Vieille a connu. Il avait pourtant annoncé dès les années 90 les problèmes auxquels nous aurions à faire face, dans un cours sur Le Chaos dans le Monde, cours prophétique, s’il en fut. Car c’est bien de chaos profond qu’il s’agit dans tous les domaines : écologique, économique, médical, religieux, social, sexuel, géographique, industriel, militaire, psychologique, éducatif, culturel, etc., avec tout ce que cela entraîne comme bouleversements profonds auxquels nous devons faire face actuellement.
La fin de l’histoire n’a pas eu lieu, nous le savons jusqu’à l’absurde des dernières actualités, et « Le monde n’est plus celui que Paul Vieille a connu, mais il demeure fait de peuples, de femmes et d’hommes acteurs, ou victimes ou spectateurs de leur temps, qui toujours sont ballottés par une Histoire qui n’a pas donné son sens. »[1]
Ainsi de l’Iran, pays où, avant la révolution de 1979, au travers de plusieurs missions de formation et d’enseignement, il contribua au développement de la sociologie comme discipline académique, de l’Iran post-révolutionnaire sur lequel il produisit avec Farad Khosrokhavar et Pirouz Eftekhari la magistrale enquête sur l’opinion des classes populaires[2], de l’Iran d’aujourd’hui dont toute la société en appelle à la libéralisation alors même que le pouvoir vient de se rapprocher de deux autres régimes autoritaires, au nom de la stabilité de l’approvisionnement en pétrole, de cet Iran et de son peuple que dirait Paul Vieille ?
Le manque de sens est probablement ce qui se présente avec le plus d’évidence actuellement, et la question lancinante qui revient est : comment et avec quels outils lire un monde en proie à une décomposition dans tous les domaines ? Qu’aurait dit Paul Vieille face à ce chaos total ? Comment aurait-il repris les différents questionnements qui l’ont hanté toute sa vie ? Le thème d’un monde dénué de sens déjà abordé dans les cours enseignés aux États-Unis aurait-il pris une autre tournure ? [3] Aurait-il vu dans le “dévoiement” des soulèvements arabes de 2011 une rupture tragique ou une ruse de la raison ? Son optimisme progressiste lui aurait sans doute permis de distinguer et de poser pour ses étudiants et ses lecteurs des pistes de compréhension, tout en sachant que ces constructions intellectuelles, et les conceptions politiques qui peuvent en être issues, ont elles-mêmes pour destin d’être mortelles. En sachant également que, selon « sa passion du populaire »[4], Paul Vieille n’aurait pas manqué de questionner la subjectivité des plus modestes, de laisser parler les subalternes, et d’y trouver les ressources nécessaires à l’entretien d’un humanisme formé par la pensée de Massignon.
Comprendre et poser des jalons dans le présent d’une actualité dont les leçons ne sont jamais une sanction définitive pour l’avenir des peuples. C’est le but du lancement renouvelé de la revue Peuples Méditerranéens qui a marqué son temps, l’Histoire et la société de l’époque et celle d’aujourd’hui ; et c’est ce que nous souhaitons arriver à faire ressortir et comprendre en ouvrant ce nouveau chapitre.
Paul Vieille (1922-2010) a laissé un héritage riche en écritures, pensées, réflexions, analyses, visions, innovations pour lesquelles j’ai la chance d’avoir été choisie comme héritière intellectuelle ; je tiens à honorer et transmettre cet héritage autant que possible. Il y a eu au moins quatre à cinq étapes dans la vie et la réflexion intellectuelle de Paul Vieille, toutes ponctuées de ruptures / transformations mais avec une réflexion centrale sur la culture au sens anthropologique du terme et sur la capacité d’initiative des couches populaires, rurales et urbaines, au passé et au présent, en France, en Iran, en Afrique, aux États-Unis et autour de la Méditerranée. C’est là le fil conducteur de sa pensée, étroitement liée chez lui à l’idée de justice, mais aussi à la réflexion sur le rôle des intellectuels de divers types.
Il m’écrivait il y a quelques années alors que je l’interrogeais sur son cheminement :
« Ce qui m’a toujours remué, troublé, conduit à réfléchir et agir, c’est l’idée de justice, peut-être mieux, l’idée d’équité. J’ai toujours été inquiété par le sort des déshérités… je m’intéresse moins au devenir “scientifique” du monde qu’aux prolétaires et à leur imaginaire, c’est-à-dire à leur rêve de justice et d’équité, à leur rêve d’un autre monde. … Ma quête est bien entendu désespérée, c’est-à-dire à la fois optimiste et pessimiste. Optimiste parce que c’est la nature de toute quête, parce que le monde ne peut être vécu sans espoir, sans une attente, et pessimiste, parce que cet autre monde est sans cesse trahi par ceux qui le rêvent autant que par ceux qui ne le rêvent pas. Et pourtant il existe et se réalise lentement, très lentement. »
On peut situer cinq étapes dans des tranches de dix à vingt années de la vie de Paul Vieille, avec les dominantes suivantes :
–La France, la Provence en particulier (1940-1958)
–L’Iran (1958-1968)
–La France, Paris et la création de la revue Peuples Méditerranéens (1968-1988)
–Les États-Unis, la globalisation et la création du site Peuplesmonde (1988-2003)
— Retour en France avec voyages au Liban : maladie, mise en orbite de Peuplesmonde (2004), décès (2010)
Ces étapes furent ponctuées de transformations que je tenterai d’exprimer et de transmettre ici par souci de compréhension du cheminement de la pensée et vie de Paul. L’étape finale de 2003 jusqu’à sa mort, fut traversée par l’expérience de la maladie que nous avons vécue ensemble, dans l’amour, la joie et les souffrances, la partageant et l’apprivoisant, avec le retour en France et des voyages et séjours réguliers au Liban qui bouclaient ainsi la trajectoire de la vie de Paul Vieille.
Concernant la première étape de sa vie, il m’écrivit :
« Ma première rupture, la plus importante, a été brutale, c’était la guerre. J’ai été ballotté seul, j’avais à peine 20 ans, dans une Europe tourmentée, sans héritage intellectuel, sans héritage politique, sans savoir exactement qui j’étais, regardant la tourmente à laquelle j’étais étranger : villes qui brûlaient, s’écroulaient, armadas dans le ciel, misère autour de moi. J’étais impassible, me promenant seul dans les décombres, fuyant les abris collectifs, hurlant parfois de peur sans le savoir… Ma famille m’a regardé comme un désaxé, malade de la guerre ; elle a attendu que ça passe, mais çan’est pas passé ; dans les dix années qui ont suivi, étudiant, j’ai, en fait, erré dans Paris, toujours étranger, incapable de revenir à la réalité. Au cours de ces années, j’ai conçu une haine terrible de la guerre et de l’injustice. Lentement je me suis construit une conscience politique et une conscience sociale sommaires. … Encore qu’on pourrait / devrait relire l’avant à l’aide de l’après… ».
La deuxième rupture / transformation importante fut l’Iran qu’il découvrit à la fin des années cinquante :
« Une autre grande coupure a été ma rencontre de l’Iran. Au préalable, je dois souligner que dans mon travail socio-anthropologique, je n’ai jamais su rester neutre, je me suis toujours senti impliqué par / dans la vie des gens sur lesquels je travaillais ; je ne suis jamais parvenu à les tenir comme objets inertes … j’étais, je suis toujours romantique, mon travers étant de vouloir changer les choses lorsque je me trouve en présence de l’injustice. En Iran, l’injustice était immense ; je m’étais investi dans le travail sur l’Iran … étranger, je ne pouvais m’impliquer politiquement. Je m’en étais bien gardé. Je devais alors m’impliquer au plan culturel, changer les représentations, celles de mes collègues et d’abord de mes collaborateurs. Partant de cette position, je devais m’attacher à comprendre ce qui se passait autour de moi, qui était inatteignable à l’aide de mes évidences culturelles françaises, donc me défaire de beaucoup de ces évidences qui n’étaient bien entendu pas seulement des instruments intellectuels, mais aussi des manières d’être, de vivre, de penser, de raisonner. J’ai donc effectué ce travail double qui consiste à me transformer moi-même pour tenter de transformer les autres. […] J’ai acquis, comme disent les beurs aujourd’hui, une double culture qui a fait que je n’étais plus de culture française, sans être de culture iranienne. »
La troisième rupture a correspondu à mai 68 et aux profondes transformations dans la société française. Cette coupure, il l’a profondément ressentie lorsqu’il est revenu en France, il ne comprenait plus rien aux façons d’être et de penser. Durant ses années d’absence, la scène intellectuelle française avait profondément changé. 1968 n’avait pas annoncé seulement le déclin de l’ouvriérisme, du productivisme, de la hiérarchie, des partis politiques centralisés, mais aussi l’affirmation de nouvelles identités, l’ouverture ou la généralisation de nouvelles luttes d’émancipation : femmes, races, sexualité, écologie, l’entrée en jeu de mouvements autonomes. L’action qui n’avait jusque-là qu’un lieu : le politique (les autres lieux où se reproduisait la société, le système capitaliste, le rapport de l’homme à la femme, la sexualité, les rapports dans la famille, la vie quotidienne dans son ensemble, étant considérés privés) changea à ce moment-là. Paul Vieille sentit la nécessité d’une réflexion sur ces changements. Il créa alors la revue : Peuples Méditerranéens.
La revue partait de plusieurs considérations : les pays bordant la Méditerranée au sens large de la Mauritanie et du Portugal, à l’Arabie Saoudite et à l’Iran en passant par les suds de la France et de l’Italie, zones fortement industrialisées au nord, avec des zones d’émigration et de tourisme au sud. Le peu de coopération entre les deux rives et la pauvreté de communication culturelle et intellectuelle fut l’une des motivations de la création de la revue cherchant à dépasser cet état des choses. La formation de classes moyennes encourageant la consommation selon le mode occidental se trouvait coupée du peuple, de sa culture et de ses expériences au quotidien. Les intellectuels traditionnels et les ulémas étaient incapables de comprendre les aspirations de ces masses qu’ils plongeaient dans un passé n’ayant rien à voir avec le vécu et le contact du peuple. La revue a cherché à combler cette lacune, se voulant lieu de réflexion sur les changements en cours, à travers deux axes : étude des formations économiques périphériques et étude de la culture populaire, approche socio-anthropologique de l’imaginaire des classes populaires facilitant des liens entre elles et les intellectuels. Donner voix aux classes populaires et permettre aux intellectuels engagés de faire entendre ces voix fut donc le but principal de la revue Peuples Méditerranéens.
Et, suite à sa rencontre en 1978 avec Evelyne Accad, ce sera la quatrième rupture. La douzaine d’années passées par Paul Vieille aux États-Unis fut riche en découvertes, voyages, création de cours innovants (Chaos dans les Sciences telles que Mathématique, Physique, etc., lié au chaos des sciences sociales, « Today’s World Chaos », « Le chaos et l’imaginaire », « Postmodernité, Roman, art et société », « Idées post » « Critiques littéraires : continuités et discontinuités »). L’idée du chaos dans les sciences à comparer aux chaos des sciences sociales fut inventée et développée par Paul Vieille, reprise dans des livres sortis sur le sujet depuis. L’enseignement aux États-Unis fut pour lui un grand moment ; il m’écrivit : « J’avais enfin le loisir de travailler intellectuellement, de comprendre, non pas la culture étatsunienne mais le mouvement intellectuel occidental de la fin du XXème siècle et de mettre en perspective son expérience de « l’Orient ». Il s’investit à fond dans l’enseignement de cours innovants, faisant les liens entre différents domaines, cours ne pouvant être enseignés qu’aux États-Unis, la France et d’autres pays étant souvent réfractaires à ce genre de libertés pédagogiques. Nous parcourûmes les États-Unis pour faire des conférences et classes dans différentes universités, et nous fûmes invités dans différents pays (Égypte, Liban, Turquie, Suisse, Norvège, Portugal, Suède, Tunisie, Maroc, etc.,) pour participer à des rencontres académiques, profitant de ces voyages pour interviewer des gens des couches populaires, entretiens utilisés plus tard pour notre recherche et pour la rédaction d’articles et de conférences.
Le « postisme » (terme polysémique aux sens parfois contradictoires, tantôt époque et tantôt projet, tantôt rupture et tantôt futur antérieur, tantôt fin des grands récits et tantôt nouveau grand récit, tantôt renouvellement du projet des Lumières et tantôt sa liquidation) ayant envahi notre horizon intellectuel : architecture, peinture, musique, littérature, philosophie, etc., nous avons ressenti la nécessité de l’interroger.
Des changements considérables ayant modifié notre façon de voir et de penser, d’être ensemble et de communiquer, de travailler et de vivre, tout, de la vie quotidienne à l’organisation du monde, s’étant transformé, cela méritait d’être distingué de ce qui fut l’époque moderne. Des auteurs tels que Roland Barthes, Jean Baudrillard, Reda Bensmaïa, Pierre Bourdieu, Serge Daney, Marcel Duchamp, Xavière Gauthier, Julia Kristeva, Jean-Francois Lyotard, Henri Michaux, Hamadi Rdissi, Lucien Sfez, Boaventura de Sousa Santos, Tzvetan Todorov, Yves Velan, tous ceux et celles qui, à un titre ou à un autre, avaient contribué à la critique de la modernité ou au débat sur la postmodernité furent convoqués, confrontés, analysés et présentés. Des études anthropologiques et sociologiques furent aussi ajoutées aux analyses.
Un certain nombre de théories critiques furent choisies parmi les plus marquantes de la vie littéraire depuis un siècle : Roland Barthes, Hélène Cixous, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Sigmund Freud, Gérard Genette, Édouard Glissant, Lucien Goldmann, Jacques Lacan, Jean-François Lyotard, Georg Lukacs, Claude Lévi-Strauss, Edgar Morin, Abdelkebir Khatibi, Jean-Paul Sartre, Tzvetan Todorov, etc. Débat qui, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, est planétaire.
La période de 2003 à sa mort fut marquée par le retour en France avec de nombreux voyages au Liban, l’expérience de la maladie au quotidien avec ses souffrances et les joies du partage de l’amour (parcours raconté dans un livre : Un amour tissé dans la tourmente, récit à trois voix de Evelyne Accad, Paris, L’Harmattan, 2019.) Le site Peuplesmonde fut ouvert en 2004. Ce fut un site de réflexion sur la mondialisation. Dans sa présentation, Paul Vieille évoque le nouveau contexte du monde[5] et présente la nouvelle problématique de recherche qui s’impose[6] et situe les différents mouvements en formation, examinés et analysés à travers divers articles sur le site.[7] Il note que l’attention sera portée plus particulièrement sur les mouvements de crise sociale.[8]
Paul Vieille a eu un cheminement exceptionnel dans ces différentes étapes et par son approche créatrice et originale faisant le lien entre les différentes disciplines, aussi bien dans les sciences sociales que dans les sciences appliquées. Il est nécessaire de pouvoir continuer cette réflexion unique par la reprise de la revue Peuples Méditerranéens.
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[1] Ce mot est tiré d’un échange récent avec Marc Fenoli qui fut Directeur de l’Institut français de Tripoli, Liban Nord, de 2015 à 2018 ; en collaboration avec l’Université libano-française et la Fondation Macharef, il avait organisé en novembre 2017 une rencontre sur l’œuvre de Paul Vieille et le monde méditerranéen rassemblant universitaires libanais et français, représentants d’associations et de la société civile.
[2] Paul Vieille, Farhad Khosrokhavar, Le Discours populaire de la révolution iranienne, 2 volumes, Paris, Contemporanéité, 1990.
[3] Voir l’analyse de la drogue pour pallier au non-sens de la vie dans : « Extase dans un monde dénué de sens », Socio-Anthropologie De La Drogue Au Début Des Années 90 dans https://peuplesmediterraneens.com/2012/11/02/extase-dans-un-monde-denue-de-sens-socio-anthropologie-de-la-drogue-au-debut-des-annees-90-par-paul-vieille-et-evelyne-accad/
[4] Nicolas Dot-Pouillard, « Paul Vieille, ou le respect du “populaire” : peuples subalternes et damnés, de la Provence à Téhéran » in La Méditerranée de Paul Vieille en débats, Actes de la rencontre de Tripoli, 2017.
[5] La période présente est un tournant décisif dans le devenir du monde. Tout en même temps, le socialisme réel s’est effondré, l’État Providence des sociétés occidentales s’est épuisé dans les formes de production qui soutenaient son existence, la construction des économies nationales dans ce que l’on appelait le Tiers monde, en large mesure, a échoué. Une nouvelle révolution technologique modifie profondément les conditions de production et d’échange ainsi que les relations de travail et les formes de lutte sociale ; un pouvoir mondial se constitue tandis que le rôle de l’État-nation s’efface. Finalement, la relation des peuples au monde s’est modifiée du tout au tout.
[6] Le site internet P&M (Peuples & Monde) choisit de se situer dans une perspective politique générale, celle des luttes “anti-globalisation” qui, à n’en pas douter, seront centrales au cours des prochaines décennies. Site de recherche, P&M place “l’anti-globalisation”, dans la multiplicité de ses formes, à l’horizon de sa réflexion et de sa problématique. Sur cette toile de fond, aucune théorie politique, philosophique, littéraire, scientifique n’est privilégiée ; l’ouverture n’excluant pas les débats théoriques à propos de la globalisation, de l’anti-globalisation et de l’ensemble des questions que l’une et l’autre peuvent soulever.
[7] P&M se situe dans le mouvement social, concret, multiple, inégal, inventif qui s’articule sur le socle idéel de la mondialisation des peuples, et se manifeste dans des mouvements organisés ou non organisés, structurés ou non structurés : mouvements des paysans pauvres, mouvements des périphéries urbaines, mouvements pour la préservation de l’environnement ou la construction d’un environnement durable, mouvements de résistance informelle et mouvements de lutte active contre la globalisation, mouvement des femmes et mouvements féministes, éléments centraux de la lutte contre le patriarcat, fondement toujours présent du pouvoir et de l’oppression, etc. Dans les cadres économiques-sociaux de la “nouvelle économie”, les luttes sociales, déstabilisées dans leurs anciennes formes, se recomposent, de nouvelles stratégies de contestation se construisent ou s’affirment, un processus général de renouvellement s’engage. P&M s’efforce de suivre ces mouvements, de réfléchir sur leur dynamique, sur les articulations théoriques et pratiques, actuelles et possibles des ensembles qu’ils composent.
[8] P&M porte tout particulièrement son attention sur les moments de crise sociale – révolutions, guerres civiles ouvertes ou larvées, changements de régime, mouvements de sécession, etc. – non pas à leurs dimensions politiques dont d’autres se préoccupent largement, mais à ce qui d’ordinaire n’a ni voix ni écho, non seulement dans les médias, mais jusque dans les revues de sciences sociales : le discours des “gens” dans lequel s’exprime un imaginaire qui produit l’événement et que l’événement libère. Ces voix jusque-là refoulées bien souvent seront rapidement rendues au silence : tout à la fois, donc, voix de rupture et voix de vaincus, dont la connaissance éclaire la logique des crises et de leur déroulement, la construction de l’interprétation des crises (a posteriori même, étouffer l’insolite !), mais aussi le long cheminement de l’imaginaire des peuples.