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CHEKIB ABDESSALAM : "Malgré la répression, les Touaregs vivant dans les régions urbaines, plus ou moins contrôlées par Alger, ne seront jamais des Algériens"
Se définissant comme descendant des Idrissides, Chakib Abdessalam qui a longtemps vécu à Tamanrasset, grande ville touareg, est un anthropologue et grand connaisseur des questions militaires. Expert en patrimoine culturel et naturel du Sahara auprès de plusieurs organismes internationaux, l’UNESCO, la FAO ou des centres de recherche comme le CNRS, il a publié plusieurs livres dont notamment «A qui profite le crime nucléaire au Sahara ?». Il dirige trois sites d’information : sahara-central.info, sahara-sahel.info et essais-nucleaires-au-sahara.net
Des attaques touaregs ont eu lieu fin mai 2023 contre des positions de l’armée algérienne. Pensez-vous que la situation peut dégénérer?
Oui, certainement, à la fois malgré et en raison de la brutalité et la violence du régime politico-militaire d’Alger, facilitée par l’incompétence et l’amateurisme notoire de ce même régime. Qu’il y ait eu des attaques de groupes touaregs contre les militaires algériens n’est pas étonnant. Maintenant, on ne peut donner de réponse catégorique quant à la tournure que vont prendre les choses.
Mais l’essentiel est plus profond: les Touaregs n’ont jamais accepté leur rattachement à l’Algérie, décidé en 1958 par le général de Gaulle, qui venait d’être élu à la tête de la nouvelle Ve République française. Cette année-là, avaient commencé à Paris des discussions avec les dirigeants du FLN. La même année d’ailleurs où avait commencé l’exploitation des hydrocarbures dans l’actuel désert algérien, qui s’étale sur moins de 2 millions de kilomètres carrés. Parmi les termes des discussions, le partage entre la France et le futur État algérien des richesses pétrolières du Sahara. D’ailleurs, ces régions étaient sous administration militaire française et le sont restées jusqu’à la fin des années 1970.
Je vivais moi-même à cette époque à Tamanrasset; les militaires français étaient toujours stationnés là. Ce n’est qu’en créant au début des années 1980 un nouveau découpage administratif, celui des wilayas, que le régime algérien a pu mettre réellement la main sur les villes touaregs. Je précise sur les villes mais pas le reste du désert algérien.
Mais historiquement, de qui relevaient les territoires touaregs actuellement sous contrôle algérien?
Depuis le Tafilalet jusqu’au Fezzan libyen, en passant par la région de l’Ahaggar ou Hoggar et du Touat, on se trouvait en territoire marocain. Les populations touaregs ont toujours vécu sous l’autorité de l’Empire chérifien. Elles écoutaient la radio marocaine et riaient sur les sketchs d’Abderraouf. Chaque tribu élisait son chef et les chefs désignaient à leur tour leurs supérieurs, les Aménokal, les Caïds et les Bachas élus et validés par dahir du Sultan. Une délégation de ces chefs de tribus se rendaient à Fès pour avoir la bénédiction du sultan du Maroc. Les chefs de tribus étaient ainsi nommés caïds et le chef des chefs de tribus était nommé Bacha.
A titre d’exemple, jusqu’en 1984, le Bacha d’In Salah était un Marocain, El Hajj Bajouda. Depuis cette date, son fils Hajj Mohammed Bajouda est régulièrement reconduit au poste de maire de la ville. Les autorités algériennes ne peuvent pas le déloger. Dans la région d’Adrar ou Timi, il y avait jusqu’à il n’y a pas longtemps des Bachas marocains comme Ben Cherouda, le Bacha Idriss ou plus récemment Moulay El Ghoul dont les grands parents ont été nommés par Hassan Ier. Ceci pour vous dire que le rejet par la population touaregs de l’Algérie est ancrée dans l’histoire. Et que la décision du général de Gaulle d’affecter le Sahara à l’Algérie nouvellement créée ne peut tronquer les faits historiques ou tromper les nobles familles instruites.
Vous avez dit tout à l’heure que la question du pétrole du Sahara actuellement sous contrôle algérien avait jouée pour que la France l’annexe à l’Algérie. Mais était-ce le seul élément pris en compte par l’ancienne puissance coloniale?
Par rapport tout d’abord aux hydrocarbures, la France voulait avoir sa part. Parmi les clauses restées, un certain temps, secrètes des accords d’Evian (ayant abouti à l’indépendance de l’Algérie), il y avait ce volet. Les documents déclassifiés récemment le montrent clairement. Mais, il y a avant tout la question de l’intégrité et de l’autonomie des bases militaires opérationnelles – ayant nécessité d’énormes investissements en Francs, en technologie et en matière grise – où des armes spéciales étaient expérimentées (nucléaires, biologiques, chimiques, bactériologiques, balistiques, etc.) La base Beni Ounif, tout près de Figuig, était classée la deuxième plus grande base d’armes chimiques et biologiques au monde après une base similaire en ex-URSS. Jusqu’en 2018, au moins, le terrain contaminé de 6000 km² à proximité de Figuig et de Béni-Ounif, possède un statut d’exterritorialité.
L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika a feint de ne pas avoir été tenu informé par le colonel Boumedienne tout en reconnaissant les faits en 2018, quelques mois avant le déclenchement du hirak. La base de B2-Namous était connue comme base pour les armes bactériologiques, en activité au moins jusqu’au début des années 1990, celles de Reggane au Touat, et In Ekker en Ahaggar (ou Hoggar, pays touareg) pour les armes atomiques…
Dès son retour d’exil, SM Mohammed V avait dénoncé aux Nations Unies, en 1956, à peine une décennie après Hiroshima et Nagazaki, la préparation des essais nucléaires et chimiques français dans les régions du Grand Sahara afin de protéger la population de leurs graves conséquences mortifères notamment dues à la radio-activité pour 24000 ans sur la population et sur l’écosystème saharien. Soutenu par les premiers grands panafricanistes tel que Kwamé N’Krumah, il a répété clairement son refus lors des conférences d’Accra (1958) et du «groupe de Monrovia» au Liberia (1959). Le sultan avait écrit au général de Gaulle en ce sens. La France a compris qu’avec Mohammed V il n’y aurait pas de compromis sur cette question, d’où donc sa décision de 1958.
Mohammed V avait rappelé l’ambassadeur du Maroc en France lorsque cette dernière a procédé à la première explosion nucléaire en 1960….
Effectivement, entre 1960 et 1961, la France avait procédé à quatre essais nucléaires dont la puissance était de sept fois celle de la bombe de Hiroshima. Ce sont les célèbres Gerboises bleue, blanche, rouge et verte. Gerboise bleue, la première bombe atomique explose à Reggane- Hamoudia le 13 février 1960. SM Mohammed V rappelle l’ambassadeur du royaume à Paris. Avant le deuxième essai, le 1er avril 1960, le général de Gaule avait écrit à SM Mohammed V pour l’en informer.
La réponse du Souverain reste ferme. Le Maroc allait d’ailleurs déposer plainte à l’ONU pour demander l’arrêt des essais français portant sur les armes spéciales. Le plus dramatique dans cette histoire, c’est qu’après l’indépendance de l’Algérie, sous un régime qui se disait socialiste et anti-impérialiste, la France a effectué, avec son aval – et donc sa complicité et sa co-responsabilité – treize autres essais nucléaires entre 1962 et 1967. Ainsi, dans la question dite mémorielle d’actualité entre l’État français et celui d’Alger, l’Algérie doit au même titre que la France co-indemniser les victimes des essais nucléaires.
Les victimes sont celles du Touat alors marocain, des Marocains dans leur ensemble puisque les radiations ont atteint Rabat dès les premiers jours et toutes les populations du Maghreb, du Sahel et d’Afrique de l’Ouest jusqu’au Nord du Congo qui ont toutes été largement irradiées. À l’époque, la France maintenait encore son administration et ses infrastructures militaire au Sahara devenu algérien par son rattachement à ce nouvel État créé de toute pièce sur les infrastructures et institutions coloniales du Tell (littoral méditerranéen).
Si les Touaregs d’Algérie sont contre le régime, pourquoi, alors, sont-ils moins actifs que ceux du Niger ou du Mali?
Dès la fin des années 1970, le régime algérien a tout fait pour noyer les Touaregs dans une population venue du Nord. Il avait envoyé des fonctionnaires du Tell à titre disciplinaire mais avec un triple salaire. Le Sahara prend tour à tour le statut de Bagne puis d’Eldorado pour trafiquant en tout genre. On assiste dans les centres urbains sahariens à un bouleversement démographique.
Des officiers de l’armée (ANP), des magistrats, des responsables de la police, de la gendarmerie ou de la douane parmi les plus corrompus sont nommés et y sévissent jusqu’à aujourd’hui avec un turn-over ahurissant qui provoque depuis bientôt un demi siècle, un appel à la convoitise et au rush de toutes sortes d’aventuriers sans foi, ni loi. Tout cela fait que les habitants originaires de la région se sentent à l’étroit puis sont réduits à une infime minorité. A Tamanrasset, par exemple, il y a 150.000 habitants dont à peine 7.000 touaregs. Cela dit, les Touaregs sont un peuple digne dont la notion de l’honneur, de justice et de probité n’a pas d’égal. Ils peuvent baisser de ton un certain moment car ils sont totalement opprimés et réduits au silence mais ils ne se laissent pas faire et sont désormais conscients de leur situation malgré le lavage de cerveau pratiqué par le régime d’Alger à la fois démagogique, mensonger et manipulateur.
D’ailleurs, les Touaregs du Niger et du Mali partaient dans les années 1970 et 1980 en Libye où ils étaient bien traités et bien payés pour ceux d’entre qui travaillaient. Beaucoup de jeunes parmi eux sont retournés chez eux armés, en ayant bénéficié d’une formation militaire. Toutefois, il faut bien avoir à l’esprit que l’ensemble des groupes et des confédérations touarègues du Mali, d’Algérie, du Niger et de Libye forment un tout et sont tous frères et n’ont jamais accepté le découpage territorial des frontières coloniales réalisé sans leur consentement et contre nature.
Comme je l’ai déjà expliqué, le régime algérien contrôle les villes mais n’a aucune emprise, voire aucune présence réelle dans le véritable désert et les nombreux massifs montagneux allant jusqu’à 3000 m d’altitude. Là les Touaregs peuvent tout entreprendre et la coutume ancestrale est toujours de mise à ce jour. Ils sont et demeurent les maîtres du désert profond et des grands espaces naturels en zone aride avec qui ils ne font qu’un.
Quel est le total de Touaregs qui vivent encore dans les territoires contrôlés par l’Algérie et quelle est leur principale activité ?
Ils sont actuellement environ 200.000 personnes dispersées dans le vaste désert et les villes de la région sous occupation et administration algérienne. Ils sont marginalisés, exclus des fruits des hydrocarbures et du développement. Le Sahara n’a jamais profité de la manne pétrolière. Ils se sentent victimes d’une ségrégation sociale, économique et raciale qui ne dit pas son nom. Ce sentiment d’inégalité les pousse de temps en temps revendiquer leurs droits les plus élémentaires. Il y a eu des affrontements avec les gendarmes et les militaires algériens dés 1962-1963.
Dans la culture touareg, il n’y a pas de notion de prison. La première du genre a été construite en 1982 par l’Algérie à Tamanrasset remplacée par une nouvelle 10 fois plus grande qui ne désemplit pas de jeunes Touaregs injustement accusés ou emprisonnés sans jugement. L’Algérie, qui s’emploie à humilier les touaregs en touchant à leur dignité et en bafouant leurs droits humains, joue avec le feu. Les Touaregs sont des nomades, au mode de vie pastoral et ne connaissent pas les frontières d’autant que celles héritées du colonialisme ne correspondent en rien à leur histoire et à celle des grandes dynasties marocaines millénaires. En 1963, le régime algérien a accordé un droit de poursuite au Mali. L’armée malienne va alors pourchasser et massacrer les Touaregs jusqu’à 200 kilomètres à l’intérieur du territoire devenu algérien. À partir des années 90, le régime algérien va infiltrer le Nord du Mali, l’Azawad.
Il va, jusqu’à aujourd’hui, infester ce territoire de la région de Kidal, de Menaka et des trois frontières par des groupes de faux jihadistes créés et manipulés par les services de renseignement de l’armée algérienne. De nombreux jeunes Touaregs vont être tués à balles réelles, à bout portant à Janet en 2018, à In Guezzam, à Borj Baji Mokhtar puis le 15 juin 2020 à Tin Zaouaten, l’assassinat par l’armée algérienne du jeune Ayoub Ag Aji, 17 ans, devant son domicile familial, en plein jour. C’est pourquoi, aujourd’hui, la jeunesse touarègue demande la fin de l’occupation administrative et militaire de l’Ahaggar et des Ajjers. La fin aussi de l’exploitation éhontée et du pillage mafieux de ses richesses naturelles (Or, Uranium, Tungsten, Terres Rares, Diamant, ressources hydriques, etc). Déjà dans les années 70, le fils de l’Aménokal des Touaregs Kel Ahaggar avait déclaré publiquement qu’un colonialisme était parti et qu’un autre est venu le remplacer.
L’Algérie a été accusée de ramener des Subsahariens des régions touaregues pour les laisser à la frontière avec le Maroc…
Ce sont des milliers de subsahariens qui se trouvent dans le grand Sahara sous administration algérienne. Ils subissent des traitements inhumains et des vexations d’un autre âge. Au moins une fois par mois, ils sont expulsés comme du bétail et livrés à eux-mêmes aux frontières du Sahel en plein désert. De temps à autre, les militaires algériens embarquent des centaines de ces migrants et les déversent à la frontière avec le Maroc dans la région de Maghnia. Ces derniers entrent au Maroc et pour la plupart d’entre eux, c’est le début d’un nouvel espoir, le rêve myrifique celui de rejoindre l’Europe ou du moins d’être régularisés au Maroc. Le régime algérien agit de la sorte dans le but, croit-il, à tort, de déstabiliser le Rouyaume Chérifien.
Je dirais même que le régime algérien s’inspire des pires pratiques du colonialisme dans les régions touaregs. En plus d’agir sur la démographie, y compris en laissant les subsahariens s’installer dans la région, il n’arrête pas de recourir à des pratiques condamnées par le droit international, comme lorsque les pilotes d’hélicoptères de l’ANP survolent à très basse altitude le centre-ville de Tamanrasset afin d’intimider les populations et de terroriser les vieillards, les femmes et les enfants. Nombreuses sont les vidéos partagées sur le net qui témoignent de cette forme de barbarie. Enfin, les populations nomades touaregues et les populations subsahariennes sont systématiquement racketées par l’Armée, la police, la douane et la police algérienne des frontières. Ces derniers insatiables dérobent même les réserves alimentaires de base ou les vêtements touaregs à tel point que depuis les années 90, ils sont surnommés les Kel Tikemoussen.
Pensez-vous que les Touaregs sous administration algérienne pourront accéder à leur indépendance un jour?
D’abord, les Touaregs s’identifient comme étant des Marocains, dont les origines remontent aux dynasties idrisside et almoravide. Leurs us et coutumes, tout comme leurs zaouïas, sont identiques à ceux du Sahara marocain. La majorité des tribus Touarègues sont des Sanhaja, d’autres sont des familles des Mouahidounes, d’autres maraboutiques et chérifiennes etc, les Ksour ou Qasbates du Touat constituent de véritables mosaïques dont la composante et la géographie humaines retracent l’histoire millénaire du Grand Maroc.
Les familles, Alaouites, Idrissides, Mérinides, Saadiens, Hafsiya, Almoravides, Arabes, Imazighen, Tachelhites, Andalous, sont en grande partie originaires du Tafilelt, du Haut Atlas et du Souss-Massa. Depuis au moins douze siècles, le Sahara chérifien, almoravide et touareg, est aussi le passage annuel des anciennes caravanes de pèlerins vers la Mecque et Médine qui traversent le Touat, le Tidikelt et l’Ahaggar et portent jusqu’à aujourd’hui les noms et les vestiges archéologiques et historiques, un patrimoine culturel qui se transmet de génération en génération confirmé et authentifié par de nombreux manuscrits et dahirs royaux jusque dans les années soixante. Le régime algérien peut tout faire mais ne peut pas inventer ou manipuler et instrumentaliser l’histoire.
Malgré la répression, les tentatives d’acculturation, de lavage de cerveau et de dépersonnalisation dont ils ont particulièrement l’objet, les Touaregs vivant dans les régions urbaines, plus ou moins contrôlées par Alger, ne seront jamais des Algériens qu’ils appellent les «Chnaouas» ou les chinines en raison de leur méchanceté, de leur oppression, de leur avidité et de leur invasion démographique. Nombreux sont les vastes sanctuaires imprenables des Touaregs qui ne sont ni carrossables, ni praticables, dont le survol est impossible et qui restent en dehors des radars en raisons de leurs caractéristiques naturelles. «Kel Tinaouine ouar tarbakhame», ceux qui parlent trop ne seront pas gagnants. «Toumast tan Kel Erou» représente la tradition et l’éthique des Touaregs, les Imouhar, qu’ils ne pourront pas faire disparaître et qui motivent toutes les «rebellions» ou revendications des Touaregs qui aspirent tous à la liberté, à la paix et au bien-être.