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Le voile et l’Etat laïque. Par Evelyne ACCAD et Paul VIEILLE.
CONTRE L’INTERDICTION – CONTRE LE VOILE.
Mardi 10 février 2004.
Au nom de la laïcité, on se propose d’interdire le port du voile dans les institutions publiques françaises, en particulier dans les institutions d’enseignement. Qu’est-ce donc que le voile et qu’est-ce que la laïcité ?
Le voile est-il un signe religieux, islamique essentiel ? Certainement non. Les « cinq piliers » de l’islam, tels qu’on les enseigne à tous les musulmans, sont le témoignage de l’unicité de Dieu, la prière, l’aumône légale, le jeûne du mois de ramadan, le pèlerinage aux lieux saints de l’islam ; donc rien qui de prés ou de loin évoque une tenue vestimentaire.
Que signifie par ailleurs la laïcité ? Que l’Etat et les institutions d’Etat ne professent aucune religion et non que les citoyens n’aient pas une religion et ne la manifestent pas ; une seule condition, les manifestations ne doivent pas troubler l’ordre public.
Nous nous trouvons donc devant un malentendu ; l’interdiction du voile comme signe d’islam est absurde, privée de sens. Son sens se trouve certainement ailleurs. Retournons-nous un instant vers l’histoire, et d’abord sur l’histoire des sociétés arabo-islamiques :
Avant, disons, le XXe siècle, le voile y est habituellement porté par les femmes, surtout dans les villes, moins dans les campagnes. Dans les villes, l’absence de voile est souvent considérée comme signe de déchéance (prostitution …), a contrario, le voile signifie la bienséance ; par suite, il protège la femme des conduites impudentes des hommes. Bien des femmes étrangères à l’islam en ont fait l’expérience dans les sociétés arabo-islamiques Ce n’était évidemment pas le morceau d’étoffe qui protégeait, mais ce qu’il représentait dans la société.
Il est de coutume de rapporter le port du voile à un hadith qui recommande aux femmes de la famille du prophète de porter le voile. On comprend que l’usage s’en soit répandu, par imitation, par souci de se rapprocher du prophète, etc. Le voile serait donc tout au plus un signe d’honorabilité, non un signe d’islam essentiel mais un signe secondaire, indiquant le statut de celle qui le porte.
En fait, dans les sociétés méditerranéennes, le voile est une coutume très répandue et très ancienne, antérieure à l’islam (comme beaucoup d’autres coutumes d’ailleurs) ; chaque culture, voire chaque tribu a son genre de voile ; c’est donc aussi un signe d’appartenance qui n’est pas lié à l’islam.
Jusqu’à récemment, dans bien des pays, l’entrée des églises catholiques était interdite aux femmes dont les cheveux n’étaient pas couverts. Et le chapeau à voilette que l’on peut considérer comme un témoin du passé était fréquent dans le sud de la France jusque dans les premières décennies du dernier siècle ; sans parler du voile complet, noir en signe de deuil. Ces signes n’avaient rien de catholique en eux-mêmes, mais s’impliquaient dans la vie religieuse.
Historiquement, dans les sociétés arabo-musulmanes, le voile a parfois pris une signification politique. Anciennement, au Maghreb, sa couleur était signe de mécontentement, de protestation contre le prince inique, qui ne se comportait pas en musulman. Plus près de nous, considérons deux expériences de dévoilement des femmes. Celle de l’Iran : dans les années trente, Réza Chah interdit le port du voile ; il se heurte à un refus collectif radical dans les milieux populaires ; l’abandon du voile est imposé par la contrainte, sitôt la chute de Réza Chah, le voile réapparait.
En Tunisie, dans les années cinquante Bourguiba, arguant du fait que le voile n’a rien d’islamique, prône l’abandon du voile. C’est un succès. Au contraire de Réza Chah, Bourguiba est un leader populaire qui a libéré la Tunisie de la colonisation française, qui a la confiance du peuple tunisien.
Port et abandon du voile peuvent donc être liés au rapport à l’autorité politique. On le voit encore clairement dans la révolution iranienne de 1978-79. Les étudiantes qui dans l’ensemble n’étaient jusque là pas voilées, se revoilent en signe de protestation contre le pouvoir du shah. Khomeyni arrivé au pouvoir décide que le port du voile (du edjab ou voile khomeyni) est une obligation islamique pour les femmes ; en fait, le voilement signe de protestation politique, devient obligation d’Etat. Les tentatives individuelles de rejet du voile, de dévoilement sont violemment réprimées. Du coup, désormais, l’obligation de porter le edjab est symbole de l’absurdité et du désordre du régime islamique ; dans toute manifestation verbale, individuelle de mécontentement, le edjab est le paradigme de décision arbitraire, créatrice de chaos.
Soulignons que la révolution de 1978-79 s’interprète comme rejet de la hiérarchie patriarcale, allant des pères jusqu’au Shah, à son sommet ; le revoilement révolutionnaire signifiait donc pour les étudiantes et étudiants (qui en ont été le premier moteur), révolte contre le père, libération. Reprenant ce mouvement libre de revoilement, Khomeyni arrivé au pouvoir rend le port du voile obligatoire ; en fait, il s’agit d’une contre-révolution, du rétablissement d’une société patriarcale dominée par le clergé, où les pères sont remplacés par les clercs. Le sens du voile dans la révolution iranienne se retrouve ensuite un peu partout dans le monde musulman : voile et libération ne sont pas contradictoires. Si la norme populaire est le port du voile, bien des femmes musulmanes qui militent pour leur libération portent le voile. Le voile atteste de leur appartenance à la communauté, et c’est de l’intérieur de la communauté qu’elles combattent l’interprétation patriarcale de l’islam.
Ainsi, dans les circonstances actuelles, le voile a souvent pris dans le monde musulman, pour celles qui le portent une signification qui est essentiellement d’appartenance à la communauté. Il n’est pas une obligation étatique, au contraire, il est lié aux familles, à la nation ou à la communauté, différente et opposée à l’Etat. Il n’est pas davantage lié à l’islam. Avant tout signe d’appartenance, selon les circonstances, il peut prendre des sens différents, s’investit de sens en raison des problèmes que l’appartenance rencontre. Dans ce cadre, il est polysémique.
Aujourd’hui, en France, son sens ne peut lui venir que de la relation de la population arabo-musulmane à la société française. De ce coté, on ne peut oublier le très ancien mythe des sociétés colonisatrices, tant la française – dès la colonisation de l’Algérie – que, plus anciennement, l’anglaise : la tâche modernisatrice de l’homme blanc est de libérer la femme de couleur de l’homme de couleur. La rationalité de ce programme peut se dire ainsi : le colonisateur pour parvenir à ses fins – éliminer toute résistance à la domination étrangère – doit désorganiser la société colonisée, détruire sa culture et sa structure sociale, l’une et l’autre dominées par des autorités patriarcales. Il faut réduire socialement et juridiquement, la population colonisée à une collection d’individus. Libérer la femme de couleur veut avant tout dire se débarrasser des obstacles culturels, moraux, sociaux auxquels se heurte la colonisation.
La conséquence perverse de ce dessein est le renforcement des institutions patriarcales. Pour résister au colonisateur, les autorités communautaires (sur lesquelles contradictoirement le colonisateur s’appuie d’ailleurs tout en espérant s’en débarrasser) s’arc-boutent sur les traditions, et accentuent la subjugation des femmes enjeu de la concurrence, réaffirmant la signification culturelle de leur secondarisation, et renforçant leur contrôle. A la volonté coloniale de libérer la femme, les autorités communautaires répondent : les femmes désirent leur soumission.
Dans ce dialogue qui passe au-dessus d’elles, les femmes sont privées de parole, elles sont sans voix (Gayatari-Spivak « Can the Subaltern Speak ? » ; dans le même sens, voir aussi Nawal El Saadawi, La face cachée d’Eve). Au cours des derniers mois, les politiciens français se sont pris au piège.
Un mythe politique moteur de la République française depuis la Révolution est celui du rapport des individus à l’Etat : on s’intègre à la République en tant qu’individu non en tant que membre d’un groupe, d’une communauté. La France est, comme les Etats Unis, un pays de forte immigration (la proportion de résidents d’origine étrangère est équivalente dans les deux pays) mais elle ne reconnait pas en principe l’existence de groupes, de communautés intermédiaires, qu’ils soient religieux, ethniques, corporatistes, etc. L’Etat est, en particulier, laïc, ne professe aucune religion, ne favorise aucune religion ; la religion est affaire individuelle, privée, tous les individus sont soumis à la même loi et égaux devant la loi. Jusqu’à ce jour, ce mode théorique d’intégration à la République a formellement assez bien fonctionné. Le rapport des individus aux institutions ne suppose et ne tolère aucune médiation, et toute affirmation communautaire est mal reçue non seulement par les institutions mais aussi par une population imprégnée du mythe égalitaire.
Ce mythe républicain rencontre cependant le nouveau racisme, est biaisé par lui. Il ne fait aucun doute que l’ancien racisme, le mépris des gens, leur ségrégation en raison de la couleur de leur peau, a sinon disparu, du moins s’est considérablement atténué (voir la fraternité des jeunes des banlieues, voir la coupe du monde de football gagnée grâce à Zidane comme moment fort de l’atténuation de l’ancien racisme, etc.).
Le nouveau racisme est un racisme culturel. Les cultures seraient des obstacles infranchissables au dialogue, à la compréhension mutuelle, à la cohabitation dans une même société. Elles conduiraient inexorablement au « choc des civilisations » (Samuel Huntington The clash of civilisations). Le choc de « l’Occident » avec le monde arabe serait particulièrement inévitable. Franciser des individus originaires de cultures différentes apparaît alors une nécessité urgente, et, en même temps, rencontrer de formidables obstacles.
Ce nouveau racisme qui ne dit d’ailleurs pas son nom, réactive à l’égard des populations arabo-musulmanes, des sentiments de méfiance et d’hostilité qui datent d’un lointain passé et d’un presque présent. Le passé d’abord de concurrence entre deux grandes religions du Livre, alimentées aux mêmes sources, le christianisme et l’islam, et de l’affrontement militaire des Croisades qui en a pris prétexte du 11ème au 13ème siècle. Ensuite et surtout, le passé de la colonisation et de la décolonisation du Maghreb, de l’Algérie avant tout, qui se sont très mal passées. Passé terrible qui n’est pas encore passé : tout ce qui a trait à la colonisation et à la décolonisation est encore, en large mesure, tabou ; les mémoires aujourd’hui encore sont gelées. S’il est en France une culture stigmatisée, satanisée, c’est certainement la culture arabo-islamique. La société française, si l’on peut dire, tient à l’œil, ses populations d’origine arabe.
Pourtant, lentement les choses changent ; l’année 2003 a vu le dialogue se renouer entre les associations de musulmans de France et le Ministère de l’intérieur. Le statut de la confession musulmane est réaffirmé, analogue à celui des autres confessions (catholique, protestante, juive). Les associations musulmanes sont regroupées en fédérations qui désignent des représentants au Conseil français du culte musulman présidé par le recteur de la grande Mosquée de Paris. Le culte musulman est ainsi légalement reconnu en même temps qu’il est soumis au contrôle commun des associations confessionnelles. La voie est ouverte à l’intégration des musulmans en tant qu’individus dans la société française.
Dans le concret quotidien, l’officialisation de la présence de l’islam en France, ne va cependant pas de soi. La résistance sinon le refus ne viennent pas des autres confessions, des églises chrétiennes notamment, loin de là. Résistance et refus sont inorganisés, exacerbés par le discours du nouveau racisme, ils n’en sont pas moins vifs. Ils viennent de populations qui admettent mal la présence de signes manifestant une différence. Ce qui affirme une présence arabo-islamique est difficilement accepté. Outre qu’il est une star du sport national, Zidane, extérieurement, se distingue peu d’un Français ordinaire ; sa stigmatisation n’a pas été possible. Mais la mosquée, le voile, c’est autre chose …
Les jeux politiciens ont jeté de l’huile sur le feu. Il était assez simple d’ignorer le voile comme on ignore les petites croix ou la kippa, tout en restant ferme sur, par exemple, la mixité dans les écoles, la participation des filles aux activités sportives, le refus d’exigences particulières dans les hôpitaux, etc. Par ailleurs, de faire taire l’intolérance face aux signes d’une différence ; dans une large mesure c’eut-été un travail d’explication citoyenne.
Surtout il eut fallu prendre à bras le corps la lutte contre ce qui, aux yeux des familles arabo-musulmanes pauvres, appelait fondamentalement le voilement des filles : leur protection.
Dans les banlieues, dans les grandes cités, s’est développé au cours des vingt dernières années, un machisme violent, le mépris affiché des jeunes filles par les garçons, une constante violence verbale, les viols. Qui a entendu parler d’une politique de l’Etat à ce sujet, d’une activité quelconque sur cette question de la « Politique de la ville » et de la police, alors que le maintien de la sécurité publique, la répression des troubles à l’ordre public est une tâche essentielle de l’Etat ? On a fait comme s’il s’agissait d’une question privée, et laissé aux familles le soin de régler le problème. Les familles arabo-musulmanes ont réagi à leur manière, activé des instruments de leur propre culture : voilé les filles, disant en quelque sorte, spécialement aux garçons de même origine culturelle : touchez-pas, ces filles sont honorables !
On ne s’est pas préoccupé de la répression de ce genre d’insécurité. On n’a pas davantage multiplié les institutions d’expression des jeunes par le sport, la musique, le tourisme populaire, etc., dans des milieux où le chômage, des jeunes surtout, dépasse très largement la moyenne nationale.
Plus généralement, les gouvernements français des dernières décennies ont été incapables de dessiner un projet d’avenir. Dans les secteurs porteurs du développement des sociétés contemporaines, la France est absente ou en recul : informatique, biologie, génétique, pharmacie, etc. Et la recherche est laissée à l’abandon. Face au changement climatique qui, d’ores et déjà, déséquilibre l’écologie du territoire, une mobilisation générale serait nécessaire ; le mot d’ordre des gouvernants est l’absence, le silence absolus, et la déviation des sentiments de désarroi d’une société triste et sans repères vers des objectifs dérisoires. Un mouvement de protestation sociale de grande ampleur débouche dans un débat sur la suppression du congé du lundi de Pentecôte, une crise majeure de société est réduite à la reprise d’un combat d’avant-hier, celui de la laïcité et à l’interdiction du voile qui n’a rien à faire avec elle !
Le résultat est pervers. Le pouvoir politique s’est immiscé dans un domaine qui n’est pas le sien, a transformé en question d’identité communautaire une question de société, s’est aliéné une partie au moins de la population arabo-musulmane de France dont les sentiment communautaires sont renforcés au moment où l’intégration calmement était en voie de se faire. L’Etat français est responsable de la transformation du voile en symbole d’identité communautaire, non les populations arabo-musulmanes de France.
Dira-t-on que cette conclusion revient à approuver le voile et soutenir le revoilement des jeunes filles arabo-musulmanes ? Rien n’est plus contraire à la logique sociétale : c’est bien la tentative de se substituer aux autorités patriarcales de la communauté, l’interdiction du voile par l’Etat, qui, par contre-coup tend désormais au renforcement de la communauté et au revoilement autoritaire des jeunes filles arabo-musulmanes.
La lutte contre le revoilement, l’abolissement du voile n’en sont pas moins une tâche urgente du mouvement féministe. Reprenons en effet ce qui s’est passé, en France, dans la période présente (au cours des deux dernières décennies). La tendance au revoilement est d’abord venue du souci de protéger les jeunes filles d’un machisme endémique virulent. Autrement dit, les victimes du harassement ont été considérées responsables du désordre dans les rapports entre garçons et filles et il leur a été demandé d’y mettre fin. Conduite apparemment absurde et injuste qui, en fait, n’est que réactivation de mécanismes des sociétés patriarcales méditerranéennes : une connivence existe entre les aînés de famille (les pères, la hiérarchie patriarcale) qui contrôlent l’accès aux femmes (les protègent et en disposent) et les jeunes mâles qui menacent, harcellent ces mêmes femmes. La finalité de cette connivence est la sujétion des femmes, leur objectivation, leur minorisation, leur asservissement aux stratégies familiales.
Le voile n’est que l’aspect extérieur, immédiatement visible de la sujétion et de l’asservissement ; il s’accompagne d’un code de conduite qui commande aux femmes de contrôler leur regard, leurs paroles, leur rire, leurs gestes, de se soumettre à la volonté des hommes, père ou mari, etc. Dans cette perspective, le voile ne peut plus être comparé à d’autres signes extérieurs tels que la croix attachée au poignet ou au cou. Non seulement le voile n’est porté que par les femmes, et donc signe de ségrégation ; il est encore signe d’un ordre patriarcal qui n’accorde aux femmes qu’un statut inférieur.
Fawzia Zouari écrit ce que disent un nombre croissant de femmes arabes (voir, par exemple, certains des films présentés au dernier Festival des films de femmes de Créteil – section Asile/Exil) :
« J’ai traversé les siècles en silence, exclue du cercle du parlant, étouffée par le brouhaha du désir des hommes et de leur commandement. Je n’ai pu m’exprimer que par chuchotement et n’ai bénéficié de complicité que muette. J’ai marché d’âge en âge, de société en société, de génération en génération sans élever la voix. Je devais regarder mourir sans avoir jamais l’occasion publiquement de témoigner. Car de tous temps la place publique fut vide de moi. Les rues ne m’ont vue passer qu’en hâte, silhouette couverte et éphémère, mirage d’existence. Maintenant que je suis sortie je ne rentrerai pas, maintenant que j’ai parlé je ne me tairai pas ».
(Pour en finir avec Shahrazad).
On la dit, dans certaines circonstances, les femmes ont utilisé le voile pour s’affirmer dans l’espace public, pour se libérer. L’acte de revoilement était alors volontaire, autonome, il entrait dans le cadre d’une stratégie librement choisie. Lorsque par contre, le revoilement est dû aux demandes, aux pressions des pères (même si c’est dans la meilleure des intentions, celle de la protection des filles) il retrouve sa dimension patriarcale ancienne, une dimension d’oppression des femmes.
Aux féministes, de combattre le voile par la discussion, la persuasion au nom de l’égalité des filles et des garçons, du refus des ségrégations, du développement personnel des filles, de leur liberté de mouvement, de leur droit à l’expression publique, etc. Aux féministes, avant tout peut-être, de dénoncer le machisme qui rend l’espace public irrespirable.
Sans doute, bien souvent, les luttes des femmes ne peuvent-elles aboutir que par une intervention de l’Etat. Ainsi, cas exemplaire entre tous, au Sénégal, dans les années récentes, les femmes (association Tostan) ont pratiquement réussi à faire disparaître la pratique de l’excision, en ayant finalement recours au pouvoir qui a mis la mutilation génitale des femmes, hors la loi. Mais une chose est d’imposer une décision au pouvoir politique, à la suite d’une campagne d’explication qui a mobilisé des milliers de femmes durant plus de dix ans, autre chose, une démarche politicienne qui prétend imposer d’en haut à une population dominée un choix qui atteint ses modes habituels d’organisation, sans qu’une alternative lui soit offerte.
L’effet sera contraire à celui recherché. Les femmes voilées de communautés machistes réagiront en se repliant sous le voile. Face à l’arbitraire de la domination, elles se replieront derrière le voile de la société patriarcale. Un débat véritable, non entre « experts », mais entre celles et ceux pour qui le voile est une question concrète, quotidienne, n’aura pas eu lieu. Souhaitons que ce débat absurde entre politiciens auquel nous avons assisté, ne tarira pas pour longtemps le débat de société parmi les populations arabo-musulmanes, que des féministes parviendront à ouvrir une réflexion collective sur le voile, la société patriarcale, le danger d’un repliement sur soi, les conditions d’un dialogue avec les institutions, etc.